Entretien exclusif avec Jonathan Taieb, réalisateur, scénariste et producteur de Stand. Le cinéaste ayant déjà évoqué la genèse et le tournage dans d'autres médias, nous avons choisi d'orienter nos questions sur le film lui-même, son écriture, sa mise en scène, ses partis pris formels.

La relation entre Anton et Vlad est au cœur du récit. Comment et pourquoi avez-vous décidé d'aborder l'histoire par le prisme du lien amoureux ?

Pour deux raisons. Je voulais faire un film sur un couple ordinaire que la société désigne comme différent et je tenais à ce que ce qu’Anton ait des choses à perdre. Je souhaitais que mon personnage soit dans un confort qu’il décide de mettre en péril au profit de cette (en)quête qu’il entreprend et qu’il pense que sa conviction soit plus forte que tout.

Le film réussit à aborder la question homosexuelle en Russie de plusieurs manières : les lois "anti-propagande", les agressions et humiliations, mais aussi la façon dont les homosexuels vivent leur différence au quotidien. Tout est suggéré, jamais didactique. Le scénario était-il très écrit ? Les conditions de tournage l'ont-elles modifié ?

Nous sommes partis de France avec un séquencier et en pratique, il ne collait pas. Nous avons donc repris le scénario une fois sur place. Cette réécrire nécessaire, forcement en partie influencée par nos premiers jours sur place, est au bout du compte, très proche du film final.

Le film porte un regard cinématographique puissant sur une réalité angoissante. La violence est le plus souvent hors-champ (l'agression du début, les images regardées sur internet). Vous mêlez le quotidien d'Anton (il est auxiliaire de vie), son histoire avec Vlad, son enquête, dans un même mouvement narratif. Ce mélange des genres est-il essentiel pour vous ?

Quand j’imagine un film, je ne le place jamais dans un genre. Je ne mets jamais de barrière au récit, on en a assez dans la mise en oeuvre des idées ! J’essaie juste de m’adapter pour raconter l’histoire de la meilleure manière possible. Si cela passe par un mélange des genres tant mieux ! Je ne fais pas d’échelle de valeur de genre non plus. Il n'y a pas pour moi de genre noble. Il n'y a que des grands films.

Au cinéma, la voix-off narrative est souvent redondante et inutile. Dans Stand, elle est un personnage à part entière qui offre au spectateur un autre niveau de lecture. Comment est née cette voix-off ?

La voix-off n’était pas écrite dans le scénario mais il nous manquait des éléments narratifs à l’issu du premier montage et nous nous sommes vraiment creusé la tête pour trouver une solution car nous ne pouvions pas retourner de scènes. Difficile d’en parler sans trop en dire mais je tenais vraiment à faire réfléchir aussi bien un militant qu’un homophobe, et encore une fois, pour un film sur un tel sujet, il fallait faire de l’Humain le moteur.

Renat Shuteev habite littéralement son personnage. Il est à la fois charmeur, déterminé, fragile ou cruel. Comment l’avez-vous trouvé et choisi ?

Je crois que la candidature de Renat est le premier mail que j’ai reçu. Il est très atypique et à la vue de ses photos, il était impossible à classer. Il était tout et son contraire. Quand je l’ai rencontré la première fois, il était encore le contraire de ce que j’imaginais de lui. Passées les premières rencontres, j’essayais de le convaincre de ne pas faire ce film, que les conditions seraient archaïques et que cela serait dangereux pour lui. Plus je mettais des barrières, plus il était motivé. Vous comprenez alors pourquoi il était le Anton parfait…

La toute dernière scène va certainement faire débat. Radicale et emphatique, elle sera rejetée par certains et applaudie par d'autres. On peut y voir une sorte de pied-de-nez rageur aux rêves de Grande Russie de Poutine avec une réappropriation de l'héroïsme, mais aussi la conclusion du questionnement existentiel du film. Pourquoi cette scène ?

C’est autour de cette scène que le film s’est construit. C’est la première image que j’ai eu en tête. Elle a fait débat même dans l’équipe, surtout pour l’utilisation de la musique de Wagner qui habille la scène de plusieurs symboliques et significations. Je me rappelle encore de la première fois que j’ai montré la scène avec cette musique à Kalin Linsberg (co-producteur) et Anthony Robin (monteur), il y a eu un long moment de silence. Ils pensaient que je leur faisais une blague. Le spectateur s'approprie cette scène et les interprétations sont multiples et c’est pourquoi je préfère la laisser à chacun. C’est vrai qu’elle coupe de tout le reste du film mais dans les intentions, elle reste dans sa logique.

Quel est votre parcours ? Quels sont les cinéastes qui vont ont marqué, ceux qui vous marquent aujourd'hui ?

J’ai le parcours type du passionné autodidacte. Je regarde beaucoup de films depuis petit, j’ai commencé très jeune avec des stages sur des tournages puis j’ai acheté mon matériel et fait quelques courts-métrages et enfin je suis passé au long. Stand est mon second film.

Kubrick, Polanski, Chaplin, Spielberg, Melville, Lars Von Trier, Lelouch, Sautet, DeSica, Lynch, DePalma, Nolan, Argento, Scorsese, Fincher, Boyle et Coppola m’ont particulièrement marqué. Aujourd’hui, je ne raterais pas les derniers films de Darren Aronofsky, PT Anderson, Innaritu et Nicolas Refn puis j’attends les seconds films de Damien Chazelle (Whiplash) et Benh Zeitlin (Les bêtes du sud sauvage) avec impatience.

Quels sont vos projets futurs ?

Je suis concentré sur la sortie de STAND au cinéma et je n’ai pas décidé de mon prochain projet en tant que réalisateur. Avant de m’y atteler, je travaille avec ma société de production Grizouille Films sur 4 projets : Roulez Jeunesse, une websérie de Jean Adrien, Petit soldat un premier court-métrage de Olivier Herold et La Marelle réalisé cette fois-ci par Frederic Jean-Jacques, le coauteur de STAND… Ensuite, à la fin de l’année, j’accompagne Boris Baum pour son second long-métrage BULA, un road-trip en Amérique du Sud sur le parcours d’un jeune idéaliste à la recherche de son père tout juste décédé.

Autres interviews de Jonathan Taieb :

> Clap ! Mag

> Cinepride

Focus sur Renat Shuteev et Andrey Kurganov :

> Médiapart

Sortie nationale le 24 juin