Leviathan
Publié le 14 Septembre 2013
Leviathan n'est pas une installation. Si les œuvres de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor sont exposées au MoMA ou ailleurs, n'oublions pas qu'ils sont avant tout anthropologues. Et ça change tout.
La beauté vertigineuse de certaines images, l'impressionnant travail du son, la puissance abstraite du film, tout ce qui rend Leviathan cinématographique, ne sont que la conséquence du travail de ses auteurs, et non les principes d'un dogme supérieur auquel des artistes se seraient voués. Épopée des travailleurs de la mer, Leviathan est un film brutal et sanglant, rugueux, inconfortable, un regard frontal porté sur les relations entre l'homme et le monde naturel. On pense alors à Aube rouge du duo Joao Pedro Rodrigues / Joao Rui Guerra da Mata, dans cette même volonté de montrer ce que l'on refuse de voir, la mort en face, l'Homme en animal prédateur.
Le film montre et ne commente pas. Il ne rend pas les marins responsables de la désertification des océans. Ce serait trop facile, trop simple, et surtout malhonnête. Il suffit de voir ce long plan sur un marin épuisé dans la salle de repos pour comprendre. Meurtris les hommes, blessés à mort les poissons, à l'affut les mouettes, surpuissante la mer, Leviathan donne tout à voir.
Construit comme une boucle chronologique, la fin revenant au début, rencontre radicale entre observation in vivo et abstraction de couleurs franches, de rouge, de bleu, de jaune, de sang, de chair déchirée, le tout rendu possible par l'utilisation au plus près de 10 caméras GoPros, Leviathan ouvre d'autres voies, fait le pont entre le documentaire, le cinéma expérimental et la narration pure.
Il ne faut pas se mentir : il arrive qu'on décroche. Le film aurait peut-être gagné à être un peu plus court. Mais ce n'est rien à côté de la force de certaines images, la découpe des ailes de raie, le ramassage des coquilles Saint Jacques, le visite de la mouette, les déchets rejetés en mer...
Leviathan est un film à part, mais c'est du cinéma.