38e Festival des 3 Continents

Publié le 29 Novembre 2016

38e Festival des 3 Continents

Alors que le palmarès du grand festival nantais vient d'être communiqué, il est temps de revenir sur les films de la sélection de cette 38e édition, largement dominée, comme c'est désormais une constante, par le cinéma asiatique.

Face à la violence du monde, deux attitudes semblent possible, l'affrontement et la dérobade. Les 9 films de la compétition illustrent de différentes manières cette glaçante équation. Si la première option est invariablement vouée à l'échec, la seconde mène parfois au salut. Dans tous les cas, l'équilibre mental est mis à rude épreuve. La déraison n'est jamais loin.

In the last days of the city (Tamer El Said)

In the last days of the city (Tamer El Said)

Remportant la Montgolfière d'Or et le Prix du Jury Jeune, In the last days of the city de l'Égyptien Tamer El Said est une belle proposition de cinéma à la narration dense et moderne faisant se croiser au Caire destins personnels et histoire du monde au moment où le Printemps Arabe est en train de naître. Offrant plusieurs niveaux de lecture, ce premier long métrage capte la ville en mouvement, s'interroge sur les liens que l'on crée avec elle, évoque le monde en guerre de Bagdad et Beyrouth, mêlant passé et avenir dans un même flux. Tamer El Said filme admirablement la ville, les lieux, les visages et les corps dans un film riche et profond.

Bangkok nites (Katsuya Tomita) et Old stone (Johnny Ma)
Bangkok nites (Katsuya Tomita) et Old stone (Johnny Ma)

Bangkok nites (Katsuya Tomita) et Old stone (Johnny Ma)

Deux films non primés méritent ensuite d'être salués, Bangkok nites de Katsuya Tomita et Old stone de Johnny Ma. Dans le premier, l'auteur de Saudade tisse sur la longueur le fil d'un récit étiré. Évitant scènes édifiantes et discours appuyés, il filme les transitions et les entre-deux d'une narration nomade. Le projet est ambitieux : il s'agit de faire le portrait de l'Asie post guerre du Vietnam, de la Thaïlande au Laos en passant par le Japon, sous la forme d'un récit choral admirablement structuré. C'est un roman moderne, un instantané du monde, un film dense et puissant. Old stone est quant à lui plus âpre et comme haché. Déroulant avec rigueur une histoire absurde et cauchemardesque, Johnny Ma se débarrasse du superflu et d'inutiles bavardages dans une narration courte au final assumé. La mise en scène est moderne, le travail sonore brillant, voilà un premier long métrage réussi.

La Montgolfière d'Argent revient à Destruction babies de Tetsuya Mariko. Si l'on s'en tient au nombre de personnes sorties en cours de projection, il est évident que le film ne pouvait pas obtenir le Prix du Public... On s'interroge alors sur la capacité de certains à suivre sans sourciller des récits a priori réalistes mais étouffants (comme My father's wings, précisément Prix du Public) alors qu'ils se montrent incapables de supporter la violence frontale. Le sujet du film de Tetsuya Mariko est précisément là, dans la représentation d'une violence directe, sans fard, gratuite. On peut y voir toutes les métaphores, psychologiques ou sociétales, le propos se refusant heureusement à la moindre analyse. L'ensemble n'est pas totalement réussi mais l'angle choisi est passionnant.

Destruction babies (Tetsuya Mariko)

Destruction babies (Tetsuya Mariko)

El limonero real obtient quant à lui une Mention Spéciale du Jury. Le film de Gustavo Fontan est l'adaptation d'un roman de Juan José Saer mêlant fiction et poésie et revendique de fait une identité de poème filmique. Il s'agit de deuil et de solitude, de rapport à la nature, à l'imaginaire et aux jours qui passent. Le résultat est doux et lénifiant.

Le Prix du Public revient donc à l'appuyé My father's wings de Kivanç Sezer, qui ancre son propos dans la Turquie d'aujourd'hui, ses inégalités, la précarité de ses ouvriers, ses désespérances. Si la mise en scène n'est en rien négligée, le fond se fait étouffant et rend l'ensemble totalement déprimant.

Inlassablement, Wang Bing continue son portrait encyclopédique de la Chine contemporaine, s'arrêtant avec Bitter money dans une ville dédiée à l'industrie du textile dans laquelle vivent et travaillent 300.000 personnes venues de provinces pauvres. Parfois captivant, parfois lassant, le film rend compte des limites du procédé immersif du cinéaste.

Revenons enfin sur Life after life de Hanyi Zhang et Solo, solitude de Yosep Anggi Noen qui se rejoignent dans une démarche minimaliste au geste artistique assumé. Life after life est un film sur la mémoire, le souvenir et la mort dans une Chine reculée où s'opposent ruralité âpre et industrialisation brutale. Le rythme est lent, la mise en scène en retrait, la caméra se faisant témoin d'une fable à la simplicité parfois trop aride pour emporter vraiment. Solo, solitude est un poème peignant l'exil d'un poète activiste lors des bouleversements politiques indonésiens de 1996. Épuré dans le fond comme dans la forme, le film parle d'absence, à soi-même et aux autres, avant la disparition.

Rédigé par Pierre Guiho

Publié dans #Festivals

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