La vie d'Adèle

Publié le 10 Octobre 2013

La vie d'Adèle

Il faut dire les choses. Il faut écrire les mots. La vie d'Adèle - Chapitres 1 & 2 est une histoire d'amour lesbienne. Ceux qui prétendent qu'il importe peu que les protagonistes soient homo ou hétéro (cf Première), font preuve d'une fâcheuse hypocrisie. Ils mentent. Le film de Kechiche ne serait pas celui qu'il est s'il en était autrement. Parce qu'aujourd'hui encore, en France et bien davantage ailleurs, vivre une histoire d'amour homosexuelle n'est pas exactement la même chose que vivre une histoire d'amour hétérosexuelle. Le Chapitre 1 du film l'illustre clairement.

Divisé en deux parties, La vie d'Adèle - Chapitres 1 & 2 est un récit d'apprentissage.

Chapitre 1 : Adèle se découvre, découvre l'amour, apprend à vivre. Kechiche la suit pas à pas, étape par étape. Fidèle à son incroyable capacité à recréer le réel, le cinéaste parvient à cristalliser en quelques scènes emblématiques toutes les thématiques qu'il aborde. Pas de bavardage, pas d'explications pesantes. De la vie et rien d'autre, et cette déflagration amoureuse qui envahit Adèle à la seconde où elle aperçoit Emma. C'est un amour qui bouscule tout, un amour astral, irradiant, surpuissant.

Il y a donc ce regard croisé dans la rue puis la vraie rencontre, l'interrogatoire dans la cour du lycée, les repas chez les parents, les scènes d'amour. Admirablement construit, infiniment juste, ce chapitre est une totale réussite. Nous sommes Adèle, nous vivons en elle, nous comprenons ses doutes, ses peurs, mais aussi cet élan phénoménal qui la transforme et la pousse à vivre ce qui lui arrive. Adèle aime Emma, l'admire et la désire.

Les "fameuses" scènes de sexe sont parfaitement légitimes et s'inscrivent pleinement dans le récit d'apprentissage. Animales et intenses, tordant le coup aux imageries machistes d'un cinéma érotique suranné, elles affirment la puissance du désir féminin et illustrent l'intensité d'une sexualité lesbienne au-delà des clichés. À noter l'intelligence de Kechiche qui ne se pose jamais en prosélyte. Fidèle à sa démarche, il montre, illustre, propose son regard.

Une scène partage le film en deux, et introduit ce qui sera le chapitre 2 : Adèle prépare une garden party chez Emma [Emma est aux Beaux-Arts, Emma est peintre, ses amis sont des artistes]. Et c'est là que Kechiche commence à se prendre les pieds dans le tapis. Entre les considérations oiseuses sur l'orgasme féminin d'un galeriste insupportable, et les conversations censées laisser Adèle sur le carreau, le cinéaste perd le regard et met à nu la mécanique d'un récit qui commence à s'essouffler. On touche le fond quand Emma discute avec une thésarde sur Schiele et Klimt. Superficiels et bourrés de clichés, les arguments sont dignes de lycéennes, mais certainement pas d'étudiantes en Art. On verra par la suite que les tableaux d'Emma sont laids. C'est un peu embêtant.

Chapitre 2 : la scène de rupture est très moyenne. Ce qui suivra aussi. On ne retrouve plus le souffle du chapitre 1. Nous ne sommes plus avec Adèle. Nous la regardons de loin, pas vraiment crédible en institutrice, pas vraiment adulte. Comme s'il disputait une partie de tennis, Kechiche loupe au moins trois balles de match, la première lors d'une très belle scène de baignade dans des eaux bleues et apaisantes. On se dit alors qu'il ne veut pas en finir, mais qu'il ne sait pas comment : raconter la fin de l'histoire d'amour sans doute, mais alors pas de cette manière convenue. Les dernières scènes sentent le déjà vu. La magie a disparu. L'ennui n'est pas loin. Kechiche termine son film à petite vitesse.

On gardera alors la puissance du chapitre 1. On saluera la lumineuse Adèle Exarchopoulos qui porte tout le film sur les épaules. On soulignera, contre toute attente, la justesse et l'humilité de jeu de Léa Seydoux. Toutes deux sont pleinement Adèle et Emma, et donnent à l'amour qui les habite une complicité rarement atteinte. On retiendra des seconds rôles très justes et le miracle de certaines scènes.

On regrettera qu'à l'inverse de son meilleur film, La graine et le mulet, Kechiche n'ait pas réussi à garder le cap, accélérer le rythme, pousser son art dans ses ultimes retranchements, jouant alors de la durée et du temps jusqu'à l'épuisement.

La vie d'Adèle, chapitre 1 solaire, chapitre 2 terne, un coup au ciel, un coup dans l'eau.

Et la beauté d'Adèle dansant pour son anniversaire...
Kechiche remporte quand même la partie.

Rédigé par pierreAfeu

Publié dans #Bons coups

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M
hello ! dis donc je vais rester ici j'adore ta façon d'écrire :) drôle et à la fois juste. <br /> La vie d'Adèle donc. Même si j'ai adoré cette rencontre et de ce qui suit, étonnement j'ai préféré la 2ème partie. Peut être parce qu'elle permet de souffler après 2h mouvementée. peut être parce que je me suis attaché tout de suite à Adèle et du coup je suis moins dure.. mais c'est surtout pour la scène du café (que tu n'as pas aimé). Elle m'a plus bouleversé que les 3h en tout. La détresse d'Adèle. j'en ai encore des frissons :s en fait je me suis aussi senti quittée et repoussée. dur l'après visionnage
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P
Merci pour les compliments ! Pour le reste, je crois qu'on est ici devant un film qui, de part ce qu'il brasse, parle différemment à chacun de nous. Je me suis davantage retrouvé dans la 1re partie. Pour toi, ce doit être l'inverse. ;)
C
Pour ma part, j'étais un peu comme toi en sortant de la salle. Puis j'ai pris beaucoup de recul et j'ai compris que la première partie, magnifique, a un niveau émotionnel tellement fort que la deuxième partie en demeure fade à coté. Mais, l'ellipse un peu brutale pour passer du chap. 1 au chap. 2 est le seul vrai point négatif du film, car la seconde partie reste absolument cruelle est douloureuse, elle met mal à l'aise, et surtout cette dernière heure possède les deux scènes capitales du film : la Garden-Party que j'ai trouvé juste parfaite, avec un réel sentiment d'être délaissé, à la fois dans le regard d'Adèle, mais aussi dans la caméra de Kéchiche, qui la décentre totalement du cadre.<br /> Et puis cette scène de l'engueulade qui fout un gros coup de pression, malgré des dialogues limités, j'ai trouvé le jeu des deux filles remarquables et cette scène vient rompre un couple et on y croit dur comme fer.<br /> Enfin bref, moi j'ai vraiment adoré.
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P
Preuve que tu as un gros cœur qui bat. :-)
W
Très intéressante critique Pierre. C'est marrant, je retrouve dans ce billet un ressenti assez proche du mien à la sortie du premier visionnage. Je lui faisais les mêmes reproches. Je continue à penser que le premier chapitre surpasse largement le second. Jusqu'à cette fameuse scène de &quot;garden party&quot;, que je n'aime guère d'ailleurs par sa longueur inutile, le film mérite pour moi toutes les louanges et aurait pu bénéficier du statut de véritable chef d'oeuvre. À mes yeux, il n'y a rien à jeter dans les deux premières heures. Puis il y a cette dernière heure qui m'a beaucoup gêné (la première fois) car maladroite, moins fulgurante, plus redondante. Je conserve après le second visionnage quelques réserves mais elles sont principalement liées à deux choses :<br /> - le jeu de Seydoux qui montre ses limites, notamment dans la dispute entrainant la séparation.<br /> - la difficulté que Kechiche semble avoir à boucler son histoire. Le dernier quart d'heure parait assez dispensable une fois la scène du café passée. Je te rejoins pour dire que la scène de baignade est bouleversante. J'avais le coeur en miettes pendant cette séquence. Je me sentais dans l'eau, avec elle. Comme au début du film. On est avec ce personnage. <br /> Pour moi La vie d'Adèle est un grand film sur un personnage. Ce n'est pas un chef d'oeuvre (la faute à quelques maladresses et redondances comme je l'ai dit) mais ça reste un film majeur, terriblement estimable, dépeignant magnifiquement la tranche de vie d'un personnage avec ses failles. Elle se découvre, amoureusement, sexuellement, socialement. Elle s'envole, retombe. Je l'ai trouvé bouleversante et Adèle Exarchopoulos est éblouissante. (Je n'en reviens pas d'être aussi élogieux)<br /> <br /> Bref, article très intéressant Pierre :-)<br /> <br /> PS : &quot;Et la beauté d'Adèle dansant pour son anniversaire&quot;, dansant seule, les yeux fermés sur le rythme de Lykke Li, célébrant une vie de femme adulte balbutiante. Cette scène est vraiment importante pour moi. Elle est avec ses quelques amis, sa famille mais Emma n'est pas là.
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P
Malgré toutes ses qualités, je crois que c'est au final un film qui ne me marquera pas durablement.<br /> Et merci pour les compliments ! :)
C
1 : pour les tableaux, t'es dur, il s'agit des oeuvres d'une vraie peintre... disons, que tu n 'aimes pas<br /> 2 : avec tout ça tu n'as pas mis de note<br /> 3 : dans mon tableau des avis de blogueurs je pencherais pour te mettre dans la catégorie des Contre et mitigés<br /> 4 : j'ai été pour ma part encore plus impressionné par le spleen admirable de la deuxième partie que par le charme de la première, avec une mention pour la scène du café, la plus incroyable du film à mon sens, car Adèle ne paraît pas si loin de pouvoir reconquérir Emma.
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W
Effectivement, la première partie est quasi-parfaite, mais je ne voudrais pas radoter.<br /> Au final, je me situe entre Chris qui n'a aucune réserve et toi qui es plus partagé, même si quelques réserves se sont pour moi envolées au second visionnage. Un 9/10.
P
1. Je me doute bien qu'il s'agisse d'une vraie artiste. Il se trouve juste qu'elle n'a aucun talent.<br /> 2. Je ne mets pas de note sur overblog. Pour info, j'ai mis 7 sur Sens critique. Avec ce genre de critique, en général, je mets 6, et classe le film dans &quot;assez bons coups&quot;. J'ai donc surnoté parce que la première partie est quasi parfaite. À ce sujet, la relation d'Adèle avec le garçon du début est assez peu évoquée. Elle est pourtant très juste elle aussi.<br /> 3. Mitigés, oui. Contre, non.<br /> 4. Je n'aime pas vraiment cette scène de café. C'est pour moi du déjà-vu. Et chez Kechiche, j'attends autre chose que du déjà vu. La scène de l'interrogatoire dans la cour du lycée, la rencontre dans le bar, l'anniversaire d'Adèle, ça se sont des scènes magnifiques.