L'ornithologue • DVD

Publié le 19 Mai 2017

L'ornithologue • DVD

Au nord-est du Portugal, le Rio Duero dessine la frontière avec l'Espagne. Réserve naturelle, la zone protégée paraît immuable. Installé dans son kayak, armé de jumelles, Fernando l'ornithologue descend la rivière et observe les oiseaux, à moins que ce soient les oiseaux qui l'observent. Le temps semble arrêté.

Depuis son premier long métrage, O fantasma, João Pedro Rodrigues explore l'animalité humaine. Ses personnages se heurtent aux forces de la nature et à leurs propres pulsions, créent des alliances, se griment ou se transforment, se laissent posséder. Hormis une évasion en forêt dans Mourir comme un homme, les récits réels et fantasmés demeuraient jusqu'alors principalement urbains. Avec L'ornithologue, le cinéaste semble franchir une étape. Tournant entièrement en décors naturels, il en capture l'essence et pousse l'exploration plus loin.

Si le mythe de Saint Antoine (né Fernando, saint national portugais et accessoirement patron des marins, naufragés et prisonniers) a inspiré le récit, les rencontres de l'ornithologue avec deux pélerines chinoises plutôt dérangées puis un berger prénommé Jesus ne sont guère catholiques. Mystique mais paganique, volontiers blasphématoire, le film, présenté par son auteur comme un récit d'aventures, se transforme en fable bientôt surnaturelle dans laquelle il convient de se plonger avec abandon et plaisir.

Comme toujours, Rodrigues pénètre son récit d'une charge érotique puissante. La stature terrienne de Paul Hamy, son corps de dieu antique, la douceur de son regard et la voix du cinéaste le doublant font de Fernando un objet de contemplation et de désir. À sa place parmi les oiseaux sauvages et rares, animal lui-même en pleine mutation, l'ornithologue fait corps avec la nature. Le jeune Jesus (Xelo Cagiao), pâtre échappé d'une pastorale païenne affiche une nudité candide et forcément désirable. Le parallèle avec L'inconnu du lac de Guiraudie et Métamorphoses d'Honoré relève de l'évidence : même symbiose avec l'eau, la terre, les arbres... afin de s'aimer, se tuer, s'aimer à nouveau.

D'une maîtrise absolue, la mise en scène accompagne et provoque le voyage immersif. Du long prologue silencieux observant les oiseaux aux apparitions nocturnes, de la chaleur de la vallée à l'humidité de la forêt, la caméra féline et le montage limpide domptent la lumière. Le travail sonore, riche et profond, profondément sensitif, se trouve magnifié par la partition de Séverine Ballon dont le violoncelle semble révéler les bruits de la nature, la bande son venant faire corps avec l'image. Personnage à part entière, la musique impose sa présence comme une incarnation.

Le voyage initiatique se double d'une fuite. Mue progressive, long trip régressif, L'ornithologue prend la forme d'un conte mystérieux qui tient volontairement le monde à distance et se place hors du temps. L'épilogue singulier sonne alors comme une promesse. Sensitif et peu bavard, en perpétuelle mutation, le cinéma de Rodrigues met en images les rêves, joue avec les peurs et les fantasmes, exacerbe les sens et fait voyager les âmes.

Suppléments
Des entretiens avec le réalisateur et les acteurs ainsi que la présentation de la rétrospective de l'œuvre de João Pedro Rodrigues organisée en 2016 au Centre Pompidou, évoquent la genèse et la construction du film.

> DVD édité par Epicentre Films.

Rédigé par Pierre Guiho

Publié dans #DVD-BR, #Coups de coeur

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