Juste la fin du monde

Publié le 23 Septembre 2016

Juste la fin du monde

Il y a le texte de Lagarce, sec et précis, des répliques écrites pour être dites par des acteurs debout, portant la voix de cour à jardin, un texte de théâtre. Il y a le film de Dolan, comme embarrassé par ce texte, le respectant trop, ne le coupant pas assez, gardant trop le théâtre, perdant le cinéma.

Le cinéma de Dolan a toujours été un jeu d'équilibriste. Son meilleur mis à part (le mal aimé Tom à la ferme qui arrivait pourtant, lui, à faire oublier le théâtre), chacun de ses films avançait sur la corde, misant sur la vitesse et l'art de la diversion pour ne pas choir. La chute se produisit avec le boursouflé Mommy et Juste la fin du monde en porte les stigmates.

Ainsi Dolan choisit les plans rapprochés, une avalanche de plans rapprochés, presque toujours, presque tout le temps. À l'opposé du théâtre donc. Ce serait faire du cinéma, croit-on, ce serait pour enfermer des personnages déjà claquemurés dans une maison de famille bien étouffante. Alors que la scène de théâtre permet aux spectateurs et aux acteurs de respirer, les premiers laissant aller et venir les regards, les seconds faisant parler les corps, jouant de l'avant-scène, du retrait, des coulisses, le film de Dolan fait suffoquer tout le monde.

Quelquefois ça marche, quelquefois pas. Les comédiens sont en force, tout le temps, non pas qu'ils soient mauvais (ils sont finalement tous bons) mais leur jeu semble toujours à deux doigts de virer au surjeu, parfois y vire, parfois pas. La faute au texte qu'on ne coupe pas, aux scènes trop longues qu'on ne sait pas arrêter.

La mise en scène de Dolan, moins affectée sans doute mais pas plus sobre, ne sort que trop rarement de la posture pour nous éblouir. Et quand la narration se perd dans d'inutiles flash-back, ça tourne au ridicule. La B.O. n'est pas terrible, la partition de Yared, si juste dans Tom à la ferme, finit ici par agacer.

Certaines scènes nous cueillent pourtant, Cotillard parlant de ses enfants, Baye expliquant à Ulliel qu'il est l'homme de la famille, la pré-séquence de fin, quelques silences, quelques regards, la beauté d'Ulliel...

Juste la fin du monde est finalement un film inconfortable, mais pas dans le bon sens du terme. Le "famille, je vous hais" ne touche que trop peu, agace trop souvent, n'éblouit pas.

Rédigé par Pierre Guiho

Publié dans #Coups moyens

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R
.. comme quoi, chacun son histoire, son point de vue, son commentaire. Chacun trouvera dans le comment - taire de l'autre un point fort, là où l'" autre" décrit une faiblesse. J'ai aimé ce côté pesant, étouffant. Parce que la situation, l'histoire, est lourde, très lourde. Là ou Monsieur Guilho s'attarde, donc avant tout sur la forme, j'applaudis aux silences. Aux non -dits, à l'incapacité qu'ont les personnages à exprimer leur peur, leur douleur, de voir un deuxième homme de la famille partir. Ils le savent, l'ont deviné par petites touches successives. Chacun à sa manière, avec son histoire, sa position familiale. Dolan, me semble t'il a été fort sur ce point: il a fait un film qui s'inscrit dans les interlignes du scénario. Dans les silences. C'est LA que se ressent le film, plus que dans les images, les paroles, la bande son.
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P
Le film manque pourtant singulièrement de silences... Quant à s'attarder sur la forme, tout ayant été dit depuis des lustres, seule la forme compte.