FiF LRSY 2013

Publié le 22 Octobre 2013

FiF LRSY 2013

Suivre un festival de cinéma, c'est d'abord faire des choix. Le Festival International du Film de La Roche-sur-Yon [4e édition] dispose de 5 lieux de projection, et s'en donne donc à cœur joie : 8 films en compétition, des rétrospectives, cartes blanches, thématiques, panoramas... il faut hiérarchiser, faire le tri, et décider. 6 films de la compétition ont donc été vus, 2 films anciens, 2 films des Rencontres du Cinéma Indépendant, un court métrage surprise, et une avant-première quasi officielle.

Le FiF de La Roche-sur-Yon est aussi l'occasion de croiser cinéastes et comédiens sans faire de manières. On peut donc admirer la classe d'Amira Casar (présidente du jury), voir Mirwais (membre du jury) s'asseoir un rang devant soi, apercevoir Xavier Beauvois, serrer la main de Laetitia Dosch (actrice de La bataille de Solferino et membre du jury) ou discuter chaleureusement avec les très sympathiques réalisateurs de L'Étrange couleur des larmes de ton corps, Hélène Cattet et Bruno Forzani...

De jeudi soir à dimanche soir [17-20 octobre], 12 films vus, des attentes, des déceptions, des surprises, un seul vrai coup de cœur. Si le Prix du Jury Professionnel et le Prix du Jury Presse sont allés au faussement fun Computer chess, on préfèrera L'homme-fumée et son Prix du Public.

LE COUP DE CŒUR

Leçons d'harmonie - Émir Baigazin

Présenté dans le cadre des Rencontres du Cinéma Indépendant par l'ACOR et le SDI, ce premier film venu du Kazahkstan, et déjà présent à la dernière Berlinade, imprime sa marque dès les premières images. Aslan, 13 ans, vit avec sa grand-mère dans une ferme isolée, et revêt chaque jour son uniforme pour se rendre au collège moderne où il est scolarisé. Si la vie rurale est rude, elle est lieu de paix et de ressources pour le jeune adolescent, qui doit au contraire subir les humiliations d'un petit caïd raquetteur au sein du collège. Aslan encaisse, se concentre et ourdit sa vengeance.

Leçons d'harmonie porte admirablement son titre. Il illustre non seulement les élans perfectionnistes d'Aslan, mais aussi la belle leçon de cinéma qui nous est donnée à voir. Leçons d'harmonie, c'est d'abord une admirable gestion du temps, un scénario rigoureux, une maîtrise absolue des temps morts et des silences, des actions et du off, jusqu'aux deux ellipses majeures qui viennent fracturer la narration. Leçons d'harmonie c'est aussi une mise en scène magnifique, des scènes comme suspendues, des instants magiques, un cadre précis, une image superbe. Leçons d'harmonie, c'est enfin et surtout une singularité humble mais assumée, une histoire aussi simple que folle, un héros fascinant et complexe qui nous happe comme un aimant, mais garde jusqu'au bout sa part de mystère. Les jeunes comédiens sont parfaits, principalement Timur Aidarbekov, qui porte le film avec une grâce et une puissance impressionnantes.

Remarquable de bout en bout, Leçons d'harmonie méritait une place de choix dans la sélection officielle. Il surpasse tous les autres films vus. Il devrait sortir en France au printemps prochain. Il ne faudra pas le louper. > Critique >>>

FILMS EN COMPÉTITION

La ligne de partage des eaux - Dominique Marchais

Documentaire pédagogique et vulgarisateur, le film de Dominique Marchais dresse un état des lieux subtil des relations complexes liant l'homme à la nature. Prenant pour points de départ différents cours d'eau, la Vienne, la Creuse et la Loire, de Guéret à Saint-Nazaire en passant par Châteauroux et Nantes, le documentariste nous remet les idées en place façon piqure de rappel. On croise alors un paysagiste aux explications limpides, des agriculteurs, des élus, des couples projetant la construction d'un lotissement commun. Le film est peut-être un peu long, la fin probablement inutile, mais il sait maintenir notre conscience en éveil. On se prend même à ne pas totalement désespérer de l'avenir.

Se pose cependant la question de la plus-value cinématographique de ce documentaire, et donc de sa sélection au sein de la compétition.

L'homme-fumée - Vincent Gérard et Cédric Laty

Comme un prolongement du film de Dominique Marchais, L'homme-fumée catapulte un ethnologue mystérieux au cœur d'un village viticole de Bourgogne. Tourné dans un noir en blanc profond, le projet singulier de Vincent Gérard et Cédric Laty mêle habilement vrai documentaire et fiction fantasque. Si l'on s'amuse de certaines conclusions de l'ethnologue, de certains de ses actes aussi, on prend plaisir à l'écoute des nombreux témoignages, comme autant de visions d'une ruralité en complète mutation. L'homme-fumée nous parle aussi de nous. Il mérite le détour.

Après la nuit - Basil da Cunha

Tourné dans le bidonville créole de Lisbonne, Après la nuit rejoue l'équation bien connue dealer vs caïd sans beaucoup d'originalité. L'intérêt de ce premier film ne réside que dans sa mise en scène nerveuse et habile, qui sait tirer parti d'une double contrainte : le petit budget que l'on imagine, et des scènes principalement nocturnes. D'où quelques très beaux plans, une ambiance un peu fantomatique, un peu de poésie. Le film ne marquera pas.

Computer chess - Andrew Bujalski

On est au début des années 80. Quelques programmateurs de jeux d'échecs se retrouvent dans un hôtel pour leur tournoi annuel. Ils y croisent des couples en thérapie d'épanouissement personnel. Le film est en noir et blanc, format carré, image brumeuse, floue, décadrée, sale, façon VHS usée... Toute la panoplie du cinéma vintage est déployée pour ce film totalement anecdotique, dont les quelques bonnes scènes, le plus souvent drôles ou burlesques, sont noyées sous le procédé vain, maniéré et finalement très lourd. C'est bien dommage, car il y avait là de la matière.

L'étrange couleur des larmes de ton corps - Hélène Cattet et Bruno Forzani

Après Amer, son premier film, le duo de cinéastes bruxellois récidive. Proposé comme un labyrinthe dans lequel le spectateur est invité à se perdre, L'étrange couleur des larmes de ton corps assume haut et fort ses racines giallesques et leurs inspirations surréalistes dans le décor Art Déco de Bruxelles. Sans une seconde de silence, aucun temps mort, stimulant sans discontinuer la vue et l'ouïe, le film s'appuie sur des motifs ultra codés, pour donner corps à ce qui se vit comme un rêve étrange et bien souvent pénétrant... On pourra se lasser des multiples références, ne pas goûter au fétichisme trop sophistiqué des peaux de cuir et autres étoffes ou chairs lacérées, mais on ne pourra pas ne pas saluer la radicalité et finalement le courage de l'entreprise. Si le film finit par tourner en rond et s'achever sans nous, on retiendra quelques scènes enivrantes, dont la plus belle, lynchienne et répétitive, voit le héros se présenter à lui-même et se perdre dans un mouvement hypnotique et terrifiant. On gardera à l'œil les très sympathiques Hélène Cattet et Bruno Forzani, en espérant qu'ils finissent un jour par s'affranchir de leurs encombrants modèles pour nous livrer davantage d'eux-mêmes.

I used to be darker - Matt Porterfield

Présenté comme le régional de l'étape par le sélectionneur Emmanuel Burdeau (quel déconneur celui-là), Matt Porterfield revient cette année après avoir remporté le Prix du Jury de la première édition avec Putty hill, et participé au jury en 2011. Sans doute est-ce la fois de trop, tant cette chronique adolescente à base de séparation, de musique et de tourments afférents, ne brille ni par sa mise en scène ni par son dynamisme. Le film est tout simplement ennuyeux.

LES AUTRES FILMS

Night moves - Kelly Reichardt

Invitée d'honneur du festival, la cinéaste Kelly Reichardt est venue présenter en avant-première son dernier film, lauréat du Grand Prix à Deauville, mais aussi sa filmographie complète, ainsi qu'un choix de films dans le cadre d'une carte blanche.

Night moves est un film simple et précis construit en deux temps. Deux jeunes gens dont on sait peu, rejoignent un troisième type afin de mettre au point une sorte d'attentat écologiste : la destruction d'un barrage hydraulique. La première partie, factuelle et bien souvent silencieuse, les personnages communiquant peu entre eux, n'évoquant pas leurs motivations, avance au rythme de la préparation. La seconde partie, principalement axée sur le personnage de Josh (Jesse Eisenberg, parfait) agit comme un retour de bâton, une prise de conscience a posteriori.

La mise en scène ample et naturaliste illustre parfaitement le propos subtil d'un récit qui ne juge pas. Cinéaste en prise avec la nature mais soucieuse de l'Homme, Kelly Reichardt signe là, presque sans en avoir l'air, un film plus profond et plus ambitieux qu'il y paraît. Nous y reviendrons.

Eka & Natia, Chronique d’une jeunesse géorgienne - Nana Ekvtimishvili et Simon Groß

Deuxième film vu dans le cadre des Rencontres du Cinéma Indépendant, Eka & Natia, Chronique d’une jeunesse géorgienne est un récit initiatique sur le quotidien de deux adolescentes, quelques années après la chute du bloc de l'Est. Entre insouciance, amourettes, situations économique et familiale difficiles, le film prend la forme d'une chronique en demi-teintes qui sait ne jamais verser dans le pathos, même lorsqu'il évoque la question du mariage forcé. L'interprétation très juste des deux comédiennes principales nous fait passer un agréable moment, mais malgré quelques jolies scènes, le film manque d'aspérités pour réellement nous marquer.

Redemption - Miguel Gomes

Le réalisateur portugais était l'un des grands invités de l'édition 2012. Il y avait présenté une sélection de films en marge de son Tabou. Il revient cette année pour la projection surprise d'un court-métrage mystérieux, Redemption. Quatre lettres sont lues dans quatre langues différentes. On est dans quatre pays d'Europe à quatre époques différentes, au Portugal, en Italie, en France, en Allemagne. Les lettres sont signées en fin de film. Toutes sont attribuées à des personnalités politiques majeures.

On ne comprend pas la démarche. Où est la rédemption ? Quelle signification doit-on donner à ces lettres pleines d'humanité, de tendresse, de grandeur ? Monté à partir d'images d'archives, très beau formellement, Redemption perd en lisibilité ce qu'il gagne en recherche formelle. Peut-être est-ce la marque de fabrique du cinéaste...

Safe - Todd Haynes

Safe [1995] figure dans la sélection proposée par Kelly Reichardt qui le présente comme l'un de ses films préférés. C'est le récit d'une transformation, celle d'une bourgeoise oisive en ascète, par le biais d'allergies à la pollution, réelles ou somatiques, la menant d'une immense villa à meubler à une secte perdue dans le désert. Le film est porté par une incroyable Julianne Moore, comme toujours exceptionnelle, littéralement habitée par son personnage. Todd Haynes, en cinéaste subtil, se garde bien de donner des réponses aux multiples questions qu'on se pose. On avance alors, pas à pas, accroché à cette femme qui vacille.

Safe est un film fascinant qui, entre fable déconcertante et portrait de femme à la dérive, impose encore davantage Todd Haynes comme l'un des cinéastes contemporains les plus singuliers.

Porcherie - Pier Paulo Pasolini

Le film date de 1969. Très marqué par les recherches narratives et esthétiques de son époque, il se partage en deux histoires menées parallèlement. L'une parle de sauvagerie et de cannibalisme sur les pentes de l'Etna, tandis que l'autre évoque le libéralisme comme fils naturel du nazisme. On retrouve là l'intellectuel engagé qu'était Pasolini, artiste érudit et tourmenté.

Si la forme semble d'un autre temps, on reste tout de même frappé par la puissance des paraboles, et la violence du propos. Le film permet également de replacer le cinéaste dans son époque, et de mesurer l'importance de son engagement artistique.

Rédigé par pierreAfeu

Publié dans #Festivals, #Avant première

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